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Quel « journal » pour le monde d’après ? – Flint Dimanche #39

Allez, dis moi. Maintenant qu’on est tous les deux en vacances ou presque : quand tu repenses à ces quatre derniers mois de folie, quel est le premier mot qui te vient à l’esprit ? Un ami m’a posé la question cette semaine. Je lui ai répondu : « un grand silence ». Bizarre, non ? Tu as sans doute eu, au contraire, le sentiment d’une grande cacophonie. Alors pourquoi je pense au silence ? Parce que nous sommes brutalement entrés dans une période d’incertitude absolue. Sur notre avenir, mais aussi sur les informations que nous avons entre les mains. Et sur ce qu’il faut en conclure.

Sans vouloir faire d’analogie scientifique de comptoir (hum…),n ce silence me fait penser un peu à ce que j’ai compris de la mécanique quantique. L’idée que la particule (c’est à dire la matière) resterait encore à l’état d’onde tant qu’il n’y a pas eu d’action ou d’observation. Elle est tout en même temps et partout à la fois. Après quatre mois de sur-information et de désinformation, c’est un peu le sentiment que j’ai aujourd’hui. Nous sommes passés à l’état d’onde.

Se retrouver dans cet état d’incertitude absolue face à l’information, notamment scientifique, n’est pas forcément une bonne chose. Le risque est de ne plus savoir quoi faire. Tu me diras, peut-être est-ce parfois une bonne idée que de ne pas vouloir à tout prix faire quelque chose tout de suite. Mais on peut aussi se dire que ne rien faire tout de suite ne veut pas forcément dire que l’on saura comment faire mieux après.

Dans un livre de vulgarisation qui essaie d’expliquer aux gros nuls comme moi ce qu’est la mécanique quantique (que j’ai lu cette semaine sur Kindle mais qui a étrangement disparu depuis hier), l’auteur (dont j’ai oublié le nom du coup) utilise cette image : un pêcheur trempe le fil de sa canne à pêche dans un lac. Tant qu’il n’a pas sorti le poisson, ce dernier est partout à la fois, existant et inexistant en même temps. Alors imagine que nous soyons tous comme le pêcheur devant le lac attendant de savoir où est le poisson pour le pêcher. Vu qu’il est partout et nulle part tant qu’on ne l’a pas sorti, on n’est pas prêt de le manger, le poisson.

Tout ça pour dire que si l’action dépend de l’information que l’on a à sa disposition, l’information dépend aussi de l’action que l’on entreprend. C’est ce qu’on a appris avec la crise sanitaire. On n’est sûr de rien mais il faut quand même faire quelque chose. Par exemple si les infos dont tu disposes te disent que la pandémie va faire 500.000 morts si tu ne fais rien, mais que ce n’est pas sûr, que décider ? Si tu décides de confiner la population, tu aplatis en effet la courbe du nombre de morts, mais tu ne sauras jamais s’il y aurait eu vraiment 500.000 morts si tu ne l’avais pas fait. C’est super énervant mais c’est comme ça. C’est la mécanique quantique.

(Non je déconne, ça n’a rien à voir avec la mécanique quantique, mais je trouvais ça cool de placer cette phrase ici)

Dans le monde mystérieux du développement informatique, il y a une technique très à la mode depuis quelques années : la méthode agile. En gros, plutôt que de faire un gros cahier des charges qui prendra des plombes à écrire et des mois à réaliser (et beaucoup d’argent) (et à la fin ça ne marche jamais comme tu voulais), tu micro-segmentes toutes tes actions. Tu développes avec un minimum d’infos, que tu sais incomplètes, et puis tu testes, tu corriges, tu récupères de nouvelles données, et tu continues, ou alors tu changes de direction. Pour l’information, on devrait faire pareil. Plutôt que d’essayer de prétendre connaître la vérité à tout prix, il faudrait faire preuve de résilience. Accepter de ne pas savoir, sans pour autant s’empêcher d’agir, à condition d’être en mesure de corriger très vite au fur et à mesure que l’information se clarifie. Corriger ne voulant pas dire changer de cap toutes les deux semaines, hein. Bref, il faudrait inventer une sorte de méthode agile de l’information-, tu vois. Tu en penses quoi ?

Du coup si on essayait d’imaginer le média idéal du monde d’après, qu’est-ce ça donnerait ?

Dans la dernière édition de Flint Dimanche, j’ai essayé d’appliquer jusqu’à l’écoeurement la logique de l’esprit critique sur cette polémique folle autour du Pr Raoult et de son hydroxychloroquine miracle. A la suite de ce billet, j’ai reçu une lettre à la fois très critique et très éclairante de Thibaut, qui m’écrit :

« Pour le lecteur de Flint que je suis, une impression de dégagisme de la vérité ressort de la lecture de Flint Dimanche. La vérité n’existe pas, soit, et c’est important d’en prendre conscience. Mais faut-il pour autant abandonner toute ambition de connaissance, même si toutes les connaissances établies n’ont pas le même niveau de confiance ? »

Il ajoute :

« En tant que citoyen, faut-il laisser gentiment dériver le monde de la santé vers des temps toujours plus incertains, sans chercher à résoudre ses failles ?

« Je crois que nous avons besoin à la fois d’esprit critique et d’inspiration pour guider notre action. On parle bien de journalisme de solutions, alors pourquoi pas de journalisme d’inspiration ? »

Si l’on a bien appris quelque chose durant cette crise, ce n’est pas tant que la vérité scientifique n’existait pas, les scientifiques vivent avec cette incertitude depuis toujours, mais que les méthodes de la science s’accordaient mal avec le temps médiatique.

🦄 Rêvons un peu…

Alors le journal du monde d’après doit-il nous dire la vérité par exemple ? Peut-il seulement le faire ? À défaut de nous protéger de ces indéfinissables « fake news », ne pourrait-il pas commencer par nous donner les éléments nous permettant de mieux interpréter l’info, de nous faire notre opinion, c’est à dire de prendre aussi en compte les faits qui nous dérangent, même quand ils alimentent les opinions les plus extrêmes ?

Et puis ne devrait-il pas aussi être capable de nous inspirer ? Apporter un peu d’eau fraiche à nos moulins, ne pas se limiter à nous rapporter des faits qui seront peut-être déjà périmés demain ?

Tout ça te paraîtra bien utopique. Mais on a commencé à travailler dessus. Et même à produire des trucs concrets que j’ai pu partager avec certains d’entre-vous. Comme par exemple jeudi dernier sur la plateforme Discord de Flint (tu peux t’inscrire ici). Comme il y a quinze jours à l’occasion d’un atelier collaboratif animé par Engage, la société de mon ami Jérome Cohen qui a mis au point une méthode formidable pour aider les citoyens, les scientifiques, les artistes et les entreprises à trouver des solutions ensemble. Si ça t’amuse, tu peux retrouver ici le joli tableau rempli de sympathiques post-it virtuels qui a servi de support à l’atelier.

Grâce à tout ce travail collaboratif, l’intelligence artificielle de Flint est désormais capable de donner une valeur d’expertise et d’opinion à un article. Un peu comme l’étiquette sur ta boîte de céréales qui te donne les ingrédients, la teneur en vitamines B ou si le produit est bio ou pas. Avec toutes ces données, on peut aussi du coup de te proposer d’autres articles sur le même sujet dont les opinions sont différentes, ou dont la valeur est plus scientifique par exemple.

Bon, pour l’instant, le résultat n’est visible que si tu as un logiciel de programmation en python pour trier tout ce bordel, mais Clémence a fait de jolies images pour que tu puisses te faire une idée.

Alors sur cet écran par exemple, Flint te propose des infos à disposition sur la source de l’article, et si elle respecte un minimum de règles d’éthique journalistique. Mais il pourrait aussi te proposer un résumé automatique (quand il arrive à le faire !), si l’article est payant par exemple ou si tu n’as pas le temps de le lire. Ou même une traduction automatique de ce résumé tu ne lis pas bien l’anglais.

Dans l’écran ci-dessous, tu peux voir une indication de la valeur d’expertise de cet article. Plus exactement, Flint prédit la probabilité que cet article plaise et circule au sein de la communauté scientifique, par exemple. De la même manière il tente de donner une couleur politique à l’article en fonction de sa capacité à circuler au sein de telle ou telle communauté d’opinion. À quoi ça sert ? Eh bien, par exemple si un article sur un sujet relatif à la santé obtient un faible score scientifique mais un haut score d’extrême droite ou complotiste, ça ne veut pas dire qu’il est faux mais bon ça devrait quand même t’alerter.

Enfin, en utilisant la même technique, Flint peut te proposer d’autres articles sur le même sujet, mais avec des approches différentes (politique, scientifique…) :

L’idée ici, c’est de nous faire sortir de notre bulle (d’opinion ou d’expertise) et de bousculer gentiment ce fichu biais de confirmation qui nous pousse (souvent inconsciemment) à ne voir que les articles qui confirment notre opinion.

Par exemple, cette semaine, on a fait travailler ton ami robot sur la Convention Citoyenne pour le Climat. Voici ce que Flint a obtenu :

🗳 Expertise : politique / 🟢 Opinion : écologiste : Climat : Le Maire prend ses distances avec deux mesures phares de la Convention citoyenne (Les Echos)

🌎 Expertise : climatologue :

🔬 Expertise : scientifique : Convention citoyenne pour le climat : la démocratie participative vue de l’intérieur (The Conversation)

🚜 Expertise : agriculteur / 💰 Opinion : lobby agro-alimentaire : La grande farce de la Convention citoyenne pour le climat (Agriculture-Environnement)

🟤 Opinion : droite radicale (extrême droite) : Fin des vols intérieurs : une mesure idéologique, antisociale et anti-climat (Contrepoints) (tu noteras ici que le média n’est pas un média d’extrême droite, mais de droite libérale. Ce que Flint calcule ici c’est la résonance communautaire de l’article pas la couleur politique de la source)

🔴 Opinion : gauche radicale : Convention citoyenne sur le climat : Macron ne veut pas de taxe sur les dividendes (BFMTV)

Voilà. Pour obtenir ces premiers résultats, on a fait un gros travail préalable de labélisation de notre panel (un demi-millier pour l’instant sur les 20.000 comptes Twitter que nous analysons). Travail que nous avons fait à la main. Enfin surtout Clara, étudiante en mathématiques appliquées aux sciences humaines. En stage chez Flint depuis la mi-juin, Clara a réalisé un travail incroyable et très rigoureux, sauf qu’elle oublie parfois que je ne comprends rien à la programmation. Quand je lui ai demandé vendredi de m’envoyer ses résultats pour préparer cette newsletter elle m’a envoyé ses lignes de code en python. C’est là que j’ai compris avec une immense humilité que le monde de l’intelligence artificielle restait encore pour moi un mystère impénétrable.

Ce qui est intéressant avec cette approche d’étiquetage profond de l’info, c’est que ça permet en même temps de générer des flux de veille hyper-spécialisés et de grande qualité sans avoir besoin de faire entrainer nos robots par nos clients ou par des experts. Par exemple imagine que tu aies un pote économiste de haut niveau à qui tu pourrais demander chaque semaine de t’envoyer l’étude scientifique ou l’article qu’il a trouvé le plus pertinent sur l’économie. Eh bien cette semaine il t’aurait envoyé ça. Ou alors un pote climatologue. Ou encore un pote historien. Je trouve ça fascinant.

On s’est aussi amusé à créer une revue de presse automatique des articles susceptibles de plaire en même temps à un agriculteur ET à un scientifique du Haut Conseil pour le Climat. Par exemple cet article de France Agricole qui fait le lien entre chute des revenus agricoles et réchauffement climatique. Je propose d’appeler ça la rubrique « Et en même temps » et de vendre ça à La République En Marche.

On a également créé une rubrique du bonheur sur notre site prototype juste avec des solutions et des trucs positifs inspirants, dont l’objectif pourrait être, par exemple, de regonfler le moral de Thibaut. 

🚀 Un projet à soutenir, merci bien. Cordialement.

Alors, hum, comment dire. Tu sais qu’on lève des fonds ? Et que tu peux devenir actionnaire de cette formidable aventure à partir de 100€ ? Je ne voudrais pas avoir l’air de me répéter, mais en même temps on m’a dit que quand on faisait une levée de fonds participative c’était bien de répéter le message pour être sûr que personne n’oublie. Alors si tu veux en savoir plus tu pourras récupérer toutes les infos ici. Et si tu n’as pas tout compris tu peux aussi m’envoyer un mail (benoit@flint.media), je t’expliquerai.

Si tu as déjà investi ou si tu ne peux pas investir mais que tu veux qu’on réussisse cette levée de fonds, par exemple si tu as un copain ou une copine business angel ET sympathique, je t’ai préparé un kit avec une vidéo et des messages tout prêts que tu pourras partager par mail ou sur les réseaux sociaux. 

Ce billet est un extrait de la newsletter hebdomadaire « Flint Dimanche », qui explore avec toi comment nous pouvons mieux nous informer dans un monde rempli d’algorithmes. Pour la recevoir, abonne-toi à Flint ici. Tu recevras également une sélection de liens personnalisée, envoyée par l’intelligence artificielle de Flint.

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