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La police c’est toi – Flint Dimanche #36

On a un rapport compliqué à la police, tu ne trouves pas ? Quand j’étais petit, je rêvais d’être flic à cause des séries télé, ce qui ne m’empêchait pas de trouver que crier « CRS=SS » lors de ma seule et unique manifestation lycéenne était cool aussi. J’ai même été en garde à vue une fois quand j’étais étudiant pour avoir fait un graffiti rigolo en forme de dragon qui faisait caca (un pari stupide), et les policiers s’étaient comportés avec moi de façon si professionnelle qu’ils avaient réussi à me faire sentir super nul, du coup je me suis tenu à carreau pour le reste de ma vie. Je te dis ça pour te donner le contexte. J’ai peut-être un biais vaguement favorable envers la police. Parce que je fais partie de cette frange de la population française qui n’a jamais été emmerdée par les forces de l’ordre. Et qui aurait, en plus, assez peu d’excuses pour enfreindre la loi. J’ai également, dans le cadre d’un reportage, passé une semaine en immersion avec eux dans un quartier difficile, et je me suis demandé comment ils parvenaient à tenir. Même si le truc le plus remarquable qui nous soit arrivé cette semaine là était l’évasion d’un cheval complètement terrorisé qui semait la panique dans les rues.

Ceci posé, tu pourras me corriger sans me hurler dessus si tu sens que, dans les lignes qui vont suivre, je te semble trop indulgent. Parce que depuis quelques jours, la police française s’en prend plein la tête. Est-elle raciste ? Est-elle coupable de dérives violentes ? Est-ce que c’est pire qu’avant ? Et au final qui contrôle tout ça ? Et que peut-on y faire ?

Note artistique : pour illustrer cette réflexion, j’ai choisi de ne mettre que des photos de policiers Playmobil (trouvées sur ce site d’images libres de droit), histoire de faire tomber un peu la pression.

J’ai pas mal hésité avant de me lancer là dedans parce que je savais que ça allait m’emmener encore très très loin dans l’ouverture de la boîte de Pandore que le petit être paresseux en moi anticipe à chaque fois avec justesse en me hurlant : « nooooon n’ouvre pas la boîte sans fond ! ». Et bon, comme d’habitude, après avoir promis trois fois à ma fiancée que cette semaine j’allais faire « léger », promis, je me retrouve à 2 heures du matin dans mon bureau à lire une étude super longue sur l’impact de la formation des policiers sur leur rapport à la violence.

Mais j’ai trouvé des trucs hyper intéressants qui m’ont emporté très loin dans la nuit blanche du vendredi, mais qui ont surtout ébranlé dans ma compréhension de ce qui faisait de nous une société, une nation, et de ce qui en était le rempart. La police est-elle trop violente ? Oublie cette question un instant. Comme si tu retenais ta respiration. Je vais t’emmener aux racines du mal. C’est-à-dire à toi. A ce que la police représente pour toi, pour le corps social. A ce que révèlent ses dérapages, pour autant qu’on puisse les mesurer. Alors installe-toi confortablement, on y va.

Bon, ça te parait sans doute hyper intello. Mais tu vas voir que non. Je vais commencer par les chiffres. Parce que c’est justement le problème. Ça fait presque deux semaines que les experts débattent du sujet sans trop savoir exactement, du coup le ministre de l’Intérieur a essayé de montrer qu’il fallait en effet changer les choses mais sans trop savoir non plus, résultat : il s’est mis à dos tout le monde. Les experts les plus raisonnables se demandant d’un air embarrassé : « mais pourquoi a-t-il décidé d’interdire la clé d’étranglement au lieu d’autres trucs alors que ce n’était pas exactement le sujet ?« .

Donc les chiffres. L’idée, ici, tu en conviendras, est d’essayer de répondre à ces deux questions qui sont à nouveau au coeur de la polémique en France depuis que les Etats-Unis se sont transformés en champ de bataille après le meurtre d’un Noir par un policier blanc filmé sur Internet. C’est un peu le #metoo des policiers. Alors, deux questions auxquelles nous allons essayer de répondre. La deuxième étant un peu philosophique aussi.

1) Les policiers sont-ils racistes ?

2) Les policiers sont-ils trop violents ?

Alors sur le racisme, c’est plus facile à calculer aux Etats-Unis parce que les statistiques tiennent compte de la couleur de la peau. Alors qu’en France, pays des droits de l’homme, tout le monde doit être « bleu-blanc-rouge ». Ce qui est très humaniste, sauf que coup il n’y a pas de données officielles permettant de savoir si les personnes de couleur sont moins bien traitées par la police que les blancs. Je n’ai rien trouvé de documenté sur les violences policières « racistes », à part les témoignages relayés dans les médias ou sur les Internet, mais qui sont difficiles à mesurer.

Il y a aussi pourtant ces vidéos choquantes sur les réseaux sociaux, il y a ces histoires de groupes Facebook de policiers racistes (révélées entre-autres par le média indépendant StreetPress, suivi par Mediapart et Arte), mais reflètent-il réalité ou seulement des faits isolés

Alors les seules données que j’ai trouvées, concernent les personnes tuées par des policiers ou gendarmes. Il s’agit d’une enquête très minutieuse réalisée par Bastamag (média en ligne de gauche) qui donne les noms des victimes. Sur la base de ces 28 noms en 2018 par exemple, on constate en effet une présence de noms à consonance étrangère supérieure à leur représentation au sein de population française. Mais moins en 2019.

Sur la discrimination par contre, il y a eu au moins deux études scientifiques quantitatives qui confirment la réalité des « contrôles au faciès ». Si tu es noir, arabe ou si tu fais partie de la communauté des gens du voyage, même si tu n’existes pas dans les statistiques, tu as plus de risques de te faire contrôler qu’un blanc. Tu pourras les lire ici et ici (la dernière compare la France et l’Allemagne). Pour Sébastien Roché, directeur de recherche au CNRS, il n’y a pas de débat sur le sujet :

« On  a maintenant depuis plus de dix ans un grand nombre d’enquêtes sur la manière dont la police travaille, sur les contrôles d’identité et sur le traitement des personnes pendant les contrôles et les sanctions à l’issue des contrôles. On a observé les comportements policiers avec une méthodologie très précise. (…) Et aujourd’hui, on a un énorme corpus de données qu’on n’avait pas il y a dix ans. Et toutes ces études montrent une chose simple : dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires. »

Sur la question des violences c’est plus compliqué à mesurer. Parce que la raison d’être de la police est difficilement dissociable du concept de violence. C’est pour ça que certains refusent de parler de « violences policières ». La violence policière est la seule violence légitime dans nos sociétés (avec celle des gardiens de prison et de certains personnels de santé). Par exemple, tu n’as pas le droit de donner une baffe à ton voisin sur la simple constatation que c’est un gros con. Même si tu as raison. Seul le policier peut le faire. Sauf qu’il lui faut quand-même une bonne raison. Il y a d’ailleurs une loi qui encadre l’usage de la « violence légale ». C’est l’article 434 du code de la sécurité intérieure, que tu trouveras plus ou moins proche de ta réalité selon ta couleur de peau, ou la couleur de ton gilet. Par exemple sur le tutoiement.

« Le policier ou le gendarme est au service de la population.
Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement.
Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. »

(…) « Le policier ou le gendarme emploie la force dans le cadre fixé par la loi, seulement lorsque c’est nécessaire, et de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace, selon le cas.
« Il ne fait usage des armes qu’en cas d’absolue nécessité et dans le cadre des dispositions législatives applicables à son propre statut. »

Par exemple, pour en revenir à ton voisin, le policier ne peut pas lui donner une baffe comme ça.

Là, normalement, tu devrais me demander : ok mais si c’est la loi qui encadre les policiers, dont le métier est justement de faire respecter la loi, alors qui c’est qui contrôle que les policiers respectent bien la loi eux-aussi ? Eh bien des policiers.

Oui je sais c’est déprimant dit comme ça, mais avant d’étudier cette question énervante, essayons d’abord de répondre à la question qui sous-tend l’ensemble, sur laquelle tout le monde semble avoir son mot à dire sur les plateaux TV, sauf que personne n’a de chiffres.

La police est-elle plus violente qu’avant ?

Selon notre scientifique de service, je veux dire « notre caution scientifique dans la science du grand flou faute de chiffres », Sébastien Roché, « la police est moins violente aujourd’hui qu’elle l’était en 1900, parce qu’on l’a professionnalisée« . Mais, ajoute-t-il, « Il est certain que c’est depuis les années 2 000 qu’il y a eu un durcissement, notamment avec un équipement comme les armes LBD« .

Les « armes LBD », ça veut dire les fusils à balles en caoutchouc, appelées « flashballs » qui ne tuent pas mais qui peuvent, par exemple, t’enlever un oeil. Par contre, on ne pas associer ce durcissement au racisme. Les principales victimes ayant surtout été des militants « gilets jaunes » lors des manifestations de 2018 et 2019, constate Mediapart qui fait également le suivi des sanctions. Leur usage a néanmoins reculé en 2019, rapporte le Point :

« L’usage des lanceurs de balle de défense (LBD) et des grenades à main de désencerclement (GMD), accusées d’avoir blessé ou mutilé plusieurs manifestants, a chuté en 2019 après avoir atteint des niveaux sans précédent en 2018, année marquée par de violentes manifestations de Gilets jaunes, un mouvement lycéen et des débordements en marge de la Coupe du monde de football. Leur usage reste cependant à des niveaux importants : 10 785 tirs de LBD contre 18 976 en 2018 (- 43 %) et 3 244 grenades contre 5 420 l’année précédente (- 40 %). »

Ce qui a augmenté par contre, c’est le nombre de plaintes déposées à l’IGPN, la police des polices. Une hausse de 23,7 % par rapport à 2018. Les chiffres viennent de l’IGPN elle-même (tu peux lire son rapport ici). Elle ne s’en cache pas : le gros des plaintes concerne les violences policières (près de 60%). L’IGPN les appelle « violences volontaires ». Il y en a eu 868 contre 612 en 2018. Par contre, le nombre de propositions de sanctions par l’IGPN , lui, est en baisse : 282 en 2019, soit -21,4 % par rapport à 2018 (359). Soit, pour parler marketing, un taux de transformation des plaintes en sanctions de 32% en 2019, contre 58% l’année précédente.

Donc, je résume : si on s’en tient strictement aux chiffres, la police « est moins violente » qu’avant selon un sociologue (et faute de vrais chiffres), sauf quand on lui met un fusil à LBD ou une grenade entre les mains. Par contre, côté sanctions, les chiffres sont à la baisse. Que faut-il en conclure ?

Avant de répondre, et pour être plus précis, il faudrait séparer la gendarmerie de la police nationale. Tu as peut-être noté que c’est la gendarmerie qui est montrée du doigt dans l’affaire Traoré alors qu’on parle de violences « policières » (si tu ne maîtrises pas bien ce dossier contesté, je te recommande l’enquête du Monde publiée samedi qui fait le point sur toute cette histoire). La gendarmerie n’agit pas sur les mêmes territoires, ne dépend pas de la même hiérarchie (ce sont des militaires), et elle est contrôlée par sa propre gendarmerie des gendarmeries : l’IGGN (Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale). Ses données sont encore plus opaques que celles de l’IGPN (police nationale). Mais selon les uniques chiffres dévoilés publiquement, cependant, l’IGGN a reçu 1444 signalements en 2019 , soit +9,5% par rapport à 2018. Ces signalement ont donné lieu à 100 enquêtes, dont seulement 31 concernant des violences illégitimes. Lesquelles n’ont pas été suivies de sanctions, si j’ai bien compris tant le rapport est flou (tu peux lire le rapport complet ici).

La question que je pose est donc : est-ce que l’IGGN et l’IGPN sont dignes de confiance ? Alors, si ça ne dérange pas, on va se concentrer sur l’IGPN sur laquelle on a plus d’infos, sinon je vais y passer la semaine.

Il se trouve qu’un chercheur, Cédric Moreau de Bellaing, s’est aussi posé la question. Et qu’on l’a même autorisé à enquêter au sein de l’IGPN. Il en a tiré des résultats intéressants. Il remarque par exemple que, très bizarrement,

« 71,7 % des affaires ayant abouti à un conseil de discipline concernent des violences commises hors service alors que 88,7 % des dossiers ouverts pour des allégations de violences incriminent des policiers en service. »

Ce qui signifie que, en gros, l’IGPN est interpelée essentiellement pour des cas de violences abusives exercées en service (par exemple lors d’une manifestation), mais qu’elle condamne, hum… surtout les autres. C’est à dire les actes de violence, pourtant hyper minoritaires, exercés dans le cadre privé. Pourquoi ? Parce qu’il est plus facile de prouver la violence quand celle-ci est illégale, que de prouver son illégitimité quand elle est exercée par des agents en service, donc autorisés à en faire usage. Surtout si les inspecteurs ont eux-mêmes été policiers. Donc plus compréhensifs. Même si les deux services se détestent.

L’étude de Cédric Moreau de Bellaing permet de constater également que l’IGPN est systématiquement moins sévère sur les dossiers de violences policières que sur les autres infractions.

Dans sa recommandation publiée au journal officiel le 2 février 2020, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, institution d’Etat indépendante, rappelle d’ailleurs le gouvernement à l’ordre à ce propos :

« Soucieuse d’un apaisement privilégiant le dialogue et la négociation et souhaitant le rétablissement d’un lien de confiance et du respect mutuel entre la police et la population, la CNCDH appelle les pouvoirs publics à engager une réflexion plus globale sur l’usage de la force publique, s’agissant en particulier des modalités du maintien de l’ordre, en y associant des représentants des forces de l’ordre et de la société civile. Le traitement judiciaire des violences imputables à certains membres des forces de l’ordre – notamment les enquêtes qu’elles suscitent, ou bien encore l’asymétrie des procédures en cas de plaintes croisées des manifestants et des policiers – ne peut rester à l’écart de cette réflexion. »

Alors, la faute aux policiers ? Ou au gouvernement ? Ou aux journalistes ? (oui j’aime bien rajouter « c’est la faute des journalistes » un peu partout, ça fonctionne toujours)

Pour essayer d’être objectif, et donc constructif, parce que tu auras noté que les policiers ne sont pas vraiment d’accord avec ces accusations, je suis allé un peu plus loin.

J’ai d’abord regardé la réalité vécue par les policiers :

Selon le Figaro (à droite) les violences et outrages envers les policiers ont augmenté de 60% en vingt ans. Pour ce qui concerne les violences contre les policiers, c’est +15% entre 2018 et 2019, soit 23.000 infractions déclarées. 25 représentants de l’ordre ont été tués en 2018 selon le rapport officiel de l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. Sauf que selon c’est en fait plutôt 4 (si l’on compte ceux qui ont été tués par une tierce personne, calcule Libération). En face, 28 personnes ont été tuées en 2018 (et 26 en 2019) selon l’enquête de Bastamag citée plus haut.

J’ai aussi regardé le climat général. Est-ce que tout le monde est plus violent ou est-ce que c’est juste les policiers. Alors je suis tombé sur une étude de l’Observatoire national de la délinquance (organisation gouvernementale), qui fait état d’une hausse du climat de violence en France depuis 2016 (hors violences conjugales), alors que les chiffres étaient plutôt en baisse.

Ensuite j’ai essayé de comparer (dans la mesure du possible et avec mes petits bras) avec les autres pays. La police française est-elle plus violente qu’ailleurs ?

Alors, par rapport aux États-Unis, on a encore de la marge : si l’on compare le nombre de personnes tuées par la police par exemple, il est 15 fois supérieur aux Etats-Unis à population égale.

Si l’on regarde les autres pays européens, la différence vient surtout du constat que la France est plus « armée » que ses voisins, et plus agressive dans ses techniques. Ce qui ne veut pas dire plus efficace, même si on pourrait considérer qu’en tant que capitale mondiale des grévistes et des manifs, dont le peuple est capable de décapiter son roi, elle n’a de leçon à recevoir de personne. Forte de sa longue expérience (et peut-être de sa « peur ») de la colère populaire, la France a privilégié une stratégie de « mise à distance », estime Myeuroup.info (média en ligné créé par un ancien journaliste de la Tribune et un confrère irlandais) quand d’autres pays ont opté pour des techniques de désescalade avec des équipes de médiation, comme l’Allemagne par exemple.

Pour en savoir plus sur la méthode française, tu peux aussi consulter le rapport, à charge (et à gauche), de l’observatoire des pratiques policières de Toulouse, assez bien documenté. Mais uniquement à charge donc.

Le Défenseur des droits, nommé par le Président de la République (mais dont le représentant, Jacques Toubon, se déclare toujours à droite) est également très critique dans son dernier rapport.

« L’année 2019 a été marquée par un durcissement des règles du maintien de l’ordre public lors des manifestations avec l’adoption de la loi du 10 avril 2019, qui vient restreindre la liberté de manifester, pourtant constitutionnellement et conventionnellement
protégée.

(…) Les décisions prises au cours d’opérations de maintien de l’ordre peuvent donner lieu à des manquements aux règles de déontologie de la sécurité, à des atteintes à la liberté de manifester et à présenter des risques pour l’intégrité physique, qui peuvent avoir un effet dissuasif sur des personnes ayant l’intention de manifester.

Si ce débat sur les armes et les techniques de maintien de l’ordre t’intéresse, tu peux lire l’interview croisée entre le chercheur Sébastien Roché et le général Bertrand Cavallier qui ne sont pas d’accord du tout.

Mais au delà de ces observations clivantes, il y a un truc dont presque personne ne parle : les policiers peuvent-ils être à la hauteur du poids que la nation fait peser sur eux ? La loi leur impose d’être exemplaires, certes, mais comment garantit-elle leur exemplarité ? On a vu plus haut qu’il y avait des interrogations du côté des sanctions et de leur impartialité. Mais si on descendait plus profondément ? Par exemple en étudiant le rapport complexe des policiers à cette fameuse « violence légitime » ?

D’ailleurs d’où vient-elle, cette police ? Et comment a-t-elle gagné son droit exclusif à la violence, aux côtés de l’armée ? Alors en fait, la police est une invention assez récente. En France, les origines sont éparpillées et son statut toujours ambigu, mais on peut la rattacher à la création de la première police parisienne en uniforme en 1829, réformée sous Napoléon III sous le nom de « gardiens de la paix publique ». Au cours de mes recherches, j’ai parcouru le livre passionnant de Fabien Jobard et Jacques Maillard, Sociologie de la Police. Selon les auteurs, la police est liée à l’apparition des villes et dans un souci d’apaisement entre les classes sociales qui se retrouvaient dans une situation de proximité inédite et très complexe. D’où leur surnom de « gardiens de la paix ». À New York par exemple, au XIXe siècle, ces nouveaux gardiens de la paix « étaient recrutés selon leur enracinement dans leur quartier, c’est à dire leur appartenance communautaire« .

Historiquement, la police a donc toujours joué un rôle de lien, de rouage social apaisant, et donc de symptôme quand les fossés se creusent. A mi-chemin entre les milices populaires (qu’elle a remplacées) et l’armée, elle doit refléter la société dans sa diversité. Ce qui n’est pas du tout le cas en France, où 5% de ses effectifs sont issus de l’immigration africaine (contre 19% dans la population). Et je ne parle pas des femmes, alors qu’elles font l’objet de cinq fois moins de comparutions devant les conseils de discipline.

Dans ce contexte d’apaisement, le rapport des policiers à la violence est donc particulièrement complexe. Si ce sujet t’intrigue, je t’invite à lire cet article passionnant d’un chercheur intitulé « Comment la violence vient aux policiers« . Elle s’intéresse en particulier à la formation des policiers et à leurs premières réactions face à la violence (certaines scènes rapportées sont d’ailleurs particulièrement émouvantes et troublantes). Il constate que cette formation des policiers est encore très jeune (elle remonte à la fin du XIXème) et qu’elle souffre de nombreuses lacunes en terme d’aide à la prise de recul.

Au fond, la vraie question de fond est peut-être : de quoi le débat sur les violences policières est-il le symptôme ? Le rapport presque charnel du peuple avec sa police révèle les contradictions (j’allais écrire « les contractions ») de nos sociétés en mutation. On ne pourra peut-être pas accoucher d’une société nouvelle et apaisée sans ré-examiner son rôle dans la société, et donc sa diversité, sa formation, la transparence de ses mécanismes de contrôle, tout comme ses outils de médiation. Au delà de sa mission de maintien de l’ordre, la police a un rôle social et politique historique qui en fait un rouage particulièrement sensible de la modernisation de nos démocraties.

Voilà ! Ouf ! Ouiiii je sais c’était long. Pour moi aussi. Mais je me sens un peu plus intelligent quand-même. Pas toi ?

Si tu veux continuer à y réfléchir, et apporter tes propres infos, je t’invite à me rejoindre sur la plateforme « Flint » de Discord. Tu retrouveras tous les liens consultés dans la préparation de cette lettre (plus ceux apportés depuis par la communauté) (merci à Stéphane Luçon, abonné de Flint comme toi, et très actif depuis hier !) dans ce salon.

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