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Nos jours suspendus – Flint Dimanche #31

Dimanche, veille du déconfinement en France. J-1.

C’était censé être un retour à la vie normale, tu sais. Et je réalise que ça ne sera pas le cas.

Je ne sais pas où tu vis, mais moi je vis à Paris. Demain les bars resteront fermés, comme la plupart des lieux qui font la vie d’une grande ville. Mes rendez-vous de la semaine sont toujours programmés sur Zoom.

Je ne sais pas de quoi sera fait le « monde d’après », même si j’ai bien vu que c’était au coeur de beaucoup de discussions. Mais bon. Je suis autant utopiste que pragmatique.

J’ai compris une chose : il n’y aura pas de jour d’après. Il va y avoir des jours. Ils seront faits d’incertitudes. Et peut-être d’abandons. Faute de lumière.

Comme toi j’aimerais bien appuyer sur la touche « reset ». Mais je ne la trouve pas sur le clavier qu’on m’a donné. Comme toi je me dis que si le monde, dans sa presque totalité, dans sa complexité insoluble, a pu s’arrêter durant 50 jours sans imploser, il devrait pouvoir faire plus. C’est quand même la première fois dans notre histoire que nous vivons ce moment. Je veux dire tous ensemble. Le monde s’est arrêté. Et il ne s’est pas effondré.

En 1995, je suis allé en Bosnie-Herzégovine pour livrer des colis. C’était la guerre. Plus personne ne travaillait, parce que tout avait été détruit. Donc plus personne ne gagnait d’argent. Je me demandais : mais comment font les gens ? Ils continuaient à vivre, à manger. Je me souviens avoir joué aux fléchettes dans une cave. France contre Bosnie. Et puis ensuite dormi dans un immeuble abandonné. Tout était en ruines. Le gouvernement, l’industrie. Il n’y avait pas un seul mur qui n’était pas criblé de balles. Et hier encore on ne pouvait pas sortir chercher de l’eau sans risquer de se prendre une balle dans la tête. Pourtant la vie continuait. Je ne sais pas comment. Il y avait toujours de quoi manger. De quoi boire. De quoi s’amuser et chanter. Il y avait des médias qui continuaient d’informer depuis leurs caves et leurs micros pourris. Il y avait des artistes qui dessinaient ou prenaient des photos. Et puis des gens qui s’aimaient.

Cette année là j’avais appris une chose : le monde ne s’effondre pas parce qu’un système s’effondre. Ce n’est pas le système qui nous maintient en vie, ce sont les liens que nous créons.

Nous sommes tous prisonniers de nos obligations. Jusqu’à ce que notre corps nous dise non, jusqu’à ce qu’un drame nous mette à genoux. Soit on n’a plus la santé, soit on n’a plus l’argent. Alors il faut faire avec. Et il y a toujours une solution. Comme si le monde était rempli de solutions et que le seul obstacle était en nous-mêmes.

C’est comme cette polémique sur le port du masque. On nous a répété qu’ils ne servaient à rien, enfin surtout parce que nous n’en avions pas assez. Et puis on nous a dit qu’ils étaient utiles mais qu’ils ne nous protégeaient pas. Sauf que c’est faux. Je veux dire : si tu portes un masque, tout seul, il ne te protègera pas. Mais si tout le monde en porte, alors tout le monde est protégé.

Pendant longtemps j’ai pensé que les Japonais portaient des masques parce qu’ils étaient obsédés par les germes et donc un peu bizarres. Et puis en me rendant à Tokyo l’an passé j’ai compris que les personnes qui portaient des masques étaient en fait des gens malades. Et que s’ils portaient un masque, ce n’était pas pour se protéger des autres, mais pour protéger les autres.

Parce que protéger les autres c’est se protéger soi-même.

De la même manière, protéger nos institutions, protéger nos médias, notre justice, notre recherche, mais aussi ceux qui nous nourrissent ou qui maintiennent le système en état de marche, c’est nous protéger nous-mêmes. La seule valeur qui survivra à cette mise à l’arrêt forcée, ce n’est pas la maitrise de la dette, c’est la confiance. Rétablir la confiance, malgré nos inévitables failles, devrait être notre unique priorité. Notre seul indicateur de succès. Peu importe la dette, peu importe le PIB. La santé d’une nation se mesurera demain à la lumière de son indicateur de confiance. Pourquoi ? Parce que sans condiance, pas de liens. Parce sans liens, pas de survie. Parce que sans survie, pas d’avenir.

Alors tu vois que la fraternité ce n’est pas qu’un truc de gauche. C’est l’énergie de demain.

Je te laisse méditer tout ça avec ces mots de l’historien Yuval Noah Harari (l’auteur de « Sapiens »), qui nous explique en quoi la confiance est un préalable à toute société, et comment elle peut nous aider à réinventer notre rapport au pouvoir :

« Normalement, la confiance qui a été érodée pendant des années ne peut pas être reconstruite du jour au lendemain. Mais nous ne vivons pas en temps normal. Dans un moment de crise, les esprits aussi peuvent changer rapidement. Vous pouvez avoir des disputes amères avec vos frères et sœurs pendant des années, mais lorsqu’une urgence survient, vous découvrez soudain un réservoir caché de confiance et d’amitié, et vous vous empressez de vous entraider.

« Au lieu de mettre en place un régime de surveillance, il n’est pas trop tard pour rétablir la confiance des gens dans la science, dans les autorités publiques et dans les médias. Nous devrions certainement utiliser les nouvelles technologies aussi, mais ces technologies devraient donner du pouvoir aux citoyens. Je suis tout à fait favorable à la surveillance de ma température corporelle et de ma tension artérielle, mais ces données ne devraient pas être utilisées pour créer un gouvernement tout puissant. Au contraire, ces données devraient me permettre de faire des choix personnels plus éclairés, et aussi de tenir le gouvernement responsable de ses décisions… »


Tu peux lire l’intégralité de son billet ici (en anglais).

C’était mieux après

Tu as sans doute vu cette vidéo de Vincent Lindon. Elle a été visionnée 4 millions de fois. Elle t’a peut-être touché, ou alors énervé. Tu as peut-être été d’accord avec son constat, qui ne le serait pas ? Mais alors moins convaincu par les solutions qu’il propose ?

Ce que je retiens de son message, au final assez humble, c’est son obsession à rétablir la confiance envers nos dirigeants politiques. Avant toute chose. Avant même la santé. Avant même le climat. Et si c’était la clé ? Tu en penses quoi ?

C’était pas mieux avant

Plus fort que Vincent Lindon, Tom Foolery, alias Tomos Roberts, et son poème en vidéo qui a fait le tour du monde. C’est à dire plus de 25 millions de vues sur Facebook et Youtube.

Originaire de Nouvelle Zélande, résidant aujourd’hui en Grande Bretagne, cet inconnu surgi de nulle part invite le monde à un optimisme de bon sens. Alors c’est juste 25 millions de personnes versus 8 milliards, mais c’est déjà pas mal.

Voici un extrait, si tu ne comprends pas bien l’anglais :

« Et donc, lorsque nous avons trouvé le remède et que nous avons été autorisés à sortir, nous avons tous préféré le monde que nous avons trouvé à celui que nous avions laissé derrière nous »

« Mais pourquoi a-t-il fallu un virus pour rassembler les gens », demande l’enfant dans la vidéo. « Pourquoi faut-il un changement aussi radical dans nos vies pour que nous prenions conscience des dégâts que nous avons causés ? La réponse est simple, vraiment, « parfois tu dois tomber malade, mon garçon, avant de commencer à te sentir mieux ». »

Ce billet est un extrait de la newsletter hebdomadaire « Flint Dimanche », qui explore avec toi comment nous pouvons mieux nous informer dans un monde rempli d’algorithmes. Pour la recevoir, abonne-toi à Flint ici. Tu recevras également une sélection de liens personnalisée, envoyée par l’intelligence artificielle de Flint.

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