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La réforme des retraites expliquée avec des photos relaxantes – Flint Dimanche #16

Chèr(e) toi,

Jeudi matin je me suis réveillé en me disant, tiens, si je m’attaquais à la réforme des retraites ? Le démon de la paresse en moi me criait « noooon, fou que tu es !  C’est un puits sans fond ! »

Eh bien la voix de la paresse avait raison. J’ai bossé plus de cinq heures sur le sujet, lu une douzaine d’articles sélectionnés par le moteur de recherche de Flint (j’ai essayé Google mais c’était trop le bordel), j’ai dû m’abonner à Mediapart, Alternatives économiques et à Libération (25€/mois en tout), essayé de comprendre tous les mots écrits dans les articles sans complètement y arriver. Je me suis aussi tapé tout le rapport du COR (comité d’orientation pour les retraites) et ses analyses, et je suis rentré de ce périple infernal super énervé.

Comme c’est dimanche et que je reconnais le caractère déprimant de ce sujet, j’ai choisi de l’illustrer par des photos relaxantes avec des personnes âgées.

J’avoue que je ne me suis jamais intéressé à la réforme des retraites. Mais là, me plaçant au niveau du citoyen lambda, je voulais juste vérifier si, à partir des informations disponibles dans les médias et sur Internet, je pouvais me faire une opinion sur le sujet. A savoir : répondre à trois simples questions.


1) La réforme est-elle nécessaire ? C’est à dire le système actuel est-il déficitaire et donc obsolète ? Peut-on le corriger sans avoir à tout changer ?
2) La réforme envisagée va-t-elle permettre aux gens (c’est à dire nous tous) d’avoir une retraite au moins aussi insatisfaisante qu’aujourd’hui ?3) La réforme sera-t-elle plus simple à comprendre ?

Alors si ce sujet t’épuise déjà, je te fais un résumé rapide des réponses à ces trois questions comme ça tu pourras passer à la rubrique suivante :

1) Alors… hum…
2) Euh…
3) Huhu

Pour aboutir à cette absence de réponses, le gouvernement a beaucoup travaillé.

Tout d’abord, il a demandé aux Français ce qu’ils en pensaient dans le cadre d’un grand débat que personne n’a vraiment suivi. Et surtout il a demandé à un comité (le COR, donc) d’étudier de fond en comble le problème, de faire des prédictions sur 5 ans, et de proposer des solutions. Cool.

A la première question : le système actuel est-il obsolète ? La réponse n’est pas claire. Le rapport du COR dit qu’en 2025 le déficit serait d’environ 10 milliards d’euros (sur 330 milliards de retraites versées), et qu’il continuerait de se creuser jusqu’à 2030. Mais après on ne sait pas, le COR devait étudier les scénarios jusqu’en 2030, pas plus loin.

Selon le Monde, cependant, ce déficit a été moins important en 2018 qu’en 2010. Et selon Libération, il n’y aurait pas de dérapage des dépenses à craindre.

Bon, jusque là tout va bien.
 On a des chiffres assez précis, qui laissent de la place à de l’interprétation. On peut débattre selon que l’on soit à gauche ou à droite sur les moyens de réduire ce déficit de 10 milliards, ou même s’interroger sur la nécessité de le réduire à tout prix, et si ça ne pouvait pas rentrer dans une sorte de ligne de coûts assumée. A-t-on eu ce débat ? Non. Pourquoi ? Je vais t’expliquer.

C’est là qu’on en arrive à la seconde question et donc à l’origine du bordel : est-ce que la réforme envisagée par le gouvernement va avoir un impact positif sur les retraites versées ?

Pour que tu comprennes l’importance de cette question, il faut que je te parle du grand débat sur les retraites.

Moi je me suis dit : mais quand même ! Avec toutes ces contributions (60.000) des Français, il a bien du en sortir quelque chose ! Alors je suis allé voir sur le site officiel de la concertation pour lire les conclusions de ce grand débat. Qu’est-il ressorti de cet exercice de démocratie moderne ? Alors, hum, je cite :

« Lors de cette consultation se sont exprimées des opinions hétérogènes et riches qui reflètent la diversité d’âges et de profils des participants. Le bilan de cette consultation projette un panorama complexe, fait de consensus, de désaccords et d’interrogations. »

En fait, le seul consensus qui ressort de la concertation c’est celui-là :

« La voie de baisser « même un peu » les pensions est clairement rejetée. »

C’est pour ça qu’être en mesure de répondre à la seconde question était super important.

Mais à cette demande claire, aucune réponse. Aucun moyen de calculer, ni de comparer.
Là tu vas me dire : mais pourquoi ? Je croyais que les membres éminents du COR avaient justement travaillé comme des fous sur des scénarios et des prévisions. Oui, sauf qu’ils ont travaillé uniquement sur l’ancien système. Pas sur la réforme proposée par le gouvernement. Pourquoi ? Tu le sais toi ?

Le nouveau système par points a tout de même été présenté dans ses grandes lignes dans un autre rapport du COR. Il n’est pas trop compliqué à comprendre : si tu es payé 10€ tu as un point. Si tu as un point, tu reçois une retraite de 5,5€. Ce n’est pas hyper cool dit comme ça mais ça a le mérite d’être clair. Aujourd’hui, la retraite c’est 50% de ton salaire pour le privé et 75% pour le public, selon un calcul basé sur tes 25 meilleures années.

Sauf que les deux régimes sont incomparables. Donc les projections aussi. D’autant plus que deux mesures viennent compliquer l’équation : le système va changer progressivement. Et la valeur du point peut varier selon les années.
Je n’ai trouvé aucune étude sérieuse calculant l’effet positif ou négatif des mesures envisagées sur le niveau des retraites. Ou alors j’ai mal cherché. Tu me diras.


La seule « étude » que j’ai trouvée, c’est celle relayée par le Parisien, qui parle d’un « comité d’experts anonyme, selon lequel tout le monde serait perdant« . Mais pourquoi anonyme ? Sur quelles sources basent-ils leurs calculs ? Pas de réponse. En allant juste vérifier qui était ce comité en cliquant sur le lien : « Qui sommes nous« , je note que ce comité est composé de citoyens, pas d’experts. Ce qui est sympathique, mais pas forcément rassurant. Il y a donc Agathe, fonctionnaire, ou encore Régis responsable associatif etc. Rien de scientifique. Bref, tout ce que je comprends c’est que personne ne sait rien. Cool.
Ah si, il y en a un qui pense savoir, c’est l’assureur Axa ! Dans une publicité publiée sur Internet, mais très très vite retirée, Axa l’affirme tranquillou : il faut s’attendre à une potentielle dégradation des retraites à l’avenir.

« Il est donc essentiel de prendre les devants et de la préparer le plus tôt possible par le biais d’une épargne salariale. »

👉 Tu peux lire ici article de Libération qui a vérifié cette « bourde » de l’assureur  [2mn]
Ok. Faisons une pause. Voici ce que l’on sait :
Le rapport commandé par le gouvernement dit qu’il y aura un déficit de 10 milliards d’euros en 2025 mais ne sait pas trop s’il va se stabiliser ou se résorber.
La réforme envisagée ne donne aucun chiffre. Donc on ne sait pas si elle permettra ou non de résorber ces fameux dix milliards sans baisser le niveau des retraites.

Tu as donc du même coup la réponse à la troisième question : personne n’y comprend rien. Et il semblerait que la situation, qui paraissait assez simple suite au rapport du COR (en tout cas en terme de choix politique), est devenue aussi opaque qu’un jour de grève de décembre en plein brouillard pluvieux. Même le conseil d’Etat est perdu.
Le plus intéressant, c’est le revirement d’Antoine Bozio, l’économiste qui a inspiré la réforme universelle de Macron. Le lendemain de la présentation du projet de réforme, il signait dans le Monde une tribune carrément incendiaire :

« Le gouvernement a réussi à obscurcir toutes les avancées sociales possibles d’un tel système, pour mettre en avant une mesure budgétaire. »

Du coup Emmanuel Macron a demandé en urgence à ses services que soit publié, avant Noël, un simulateur qui permette aux Français de comparer les deux systèmes de retraite. Mais on lui a répondu que, hum, non, en fait, pas possible.

A la place, le gouvernement a mis en ligne un site appelé « simulateur », mais qui est en réalité une page où tu peux télécharger des fiches au format PDF.

Ces fiches sont globalement toutes en faveur du nouveau système, enfin surtout si tu pars après 64 ans. Mais la méthode est contestée par Le Monde, qui estime qu’elle ignore un certain nombre de paramètres sensibles. Par exemple la valeur du point.

Tu la sens la détresse existentielle de l’usager des transports en commun un soir de pluie ?

Ce qui me déprime le plus, c’est qu’il m’a fallu une bonne journée pour dénouer tous les fils de ce débat (y compris les fausses informations) pour comprendre qu’en fait il n’y avait rien à comprendre. Ce que je me dis juste c’est que si moi, qui ne suis pas complètement idiot, j’ai mis 5 heures pour arriver à cette conclusion, qui a vraiment pris ce temps ? Qui peut le prendre ? J’ai tout de suite pensé à ce cri de révolte mêlé de désespoir de notre ami Jacquouille, après avoir injustement glissé dans une grosse flaque de boue : « Non mais qu’est-ce que c’est que ce bin’s ? ». Je te propose de revoir cette séquence, parce que ça fait toujours du bien :

Voilà.
Je te laisse avec ces trois alternatives au système à points, proposées par Usbek et Rica , histoire de ne pas rester sur une impasse super déprimante :

👉Trois scénarios alternatifs pour les retraites du futur [9mn40]
Je t’invite aussi à découvrir cette vidéo très peu vue que m’a remontée Flint. Elle est extraite d’une table ronde de l’université Dauphine, au cours de laquelle un économiste, Michaël Zemmour, explique sa vision de la situation avec des mots assez simples.

👉Voir la vidéo [10mn]
Et si tu cherches désespérément un sens à tout ça, tu peux toujours te dire que grâce à la grève, l’usage du vélo est entré dans une nouvelle ère. C’est toujours ça de gagné pour la planète…
👉Pourquoi la grève aura des effets durables sur la pratique du vélo [6mn]

Vos contributions sur le sujet

Alors le plus intéressant m’a été apporté par Raphaëlle, qui connait bien le sujet (elle est syndicaliste) :

Ayant lu que tu n’avais pas trouvé d’études, autre qu’une étude anonyme, je te signale les études de l’IPS (Institut de Protection Sociale), un Think tank d’actuaires et experts comptables (pas du tout anonyme) et qui a travaillé de façon très sérieuse sur la base du rapport Delevoye (il cite à chaque fois les sources précises).

Leur étude a donné un peu de souci au gouvernement, en particulier celles démontrant que les femmes allaient être les grandes perdantes de la réforme d’après leur calculs (et auquel je fais confiance). La dernière séquence en date concerne la séquence sur les clubs de foot qui vont gagner ½ millions grâce à la réforme, et surlequel ils ont créés la polémique avec Darmanin !

Autre contribution, celle de Jean-François, qui est Suisse, et qui regarde tout ça avec le recul de l’observateur, que je te livre telle quelle :

Tous les systèmes de retraite ont des défauts. Les Français sont ambitieux ou révolutionnaires. Ils croient pouvoir exiger le beurre, le fil à couper le beurre et la crémière. La Suisse, où j’habite (12% de la population de l’Hexagone), a construit son système de retraite sur trois piliers. Le premier est un régime général public très solidaire mais minimal appelé AVS où les actifs financent des rentes assez faibles (quoique). Le deuxième est un régime de retraite par capitalisation, personnel et privé, fondé sur un minimal légal mais où nombre de branches ou d’entreprises ont convenu avec les partenaires sociaux ou offrent des régimes plus ou moins généreux. Le troisième pilier, pour ceux qui en ont les moyens, est constitué par une épargne non obligatoire, privée et bloquée, encouragée par un avantage fiscal. 
 
Les taux d’intérêt à zéro voire inférieurs à zéro menacent ce régime par capitalisation. L’âge de la retraite fait débat. Une tentative de porter l’âge de retraite des femmes à 65 ans à égalité avec les hommes a échoué en votation populaire. Une prochaine votation à ce sujet aura sans doute lieu d’ici 2022. En fait, le débat politique est permanent chez nous comme chez les autres sur ce sujet et les révisions des modalités légales nombreuses. Ce qui est le cas aussi de l’autre sujet qui fâche et coûte une fortune aux ménages suisses, l’assurance maladie. 

Et je termine avec Jacques, qui me dit qu’on a pris le problème à l’envers. Et que l’on a compliqué un dossier hyper sensible alors que l’on aurait pu en faire un modèle de débat et de pédagogie politique. D’abord poser les bonnes questions, les questions de fond, puis publier les projections concrètes du comité d’orientation, éventuellement proposer des pistes (réforme à points, mais aussi d’autres modèles), et enfin lancer un grand débat.

La question n’est pas celle de l’âge pivot ou du déficit. Elle est de savoir de quel système nous voulons. Et cette question est simple, comme tu le dis. 

Une fois qu’on est d’accord pour un système solidaire et juste, on le met en place. C’est le boulot du gouvernement et des acteurs concernés, dont les syndicats. Ils sont élus et payés pour ça. Or force est de constater :

– Que la question de fond n’est pas posée et qu’on se perd dans des débats secondaires et incompréhensibles.
– Que les professionnels qui sont censés réformer le système de retraites sont incapables de le faire et bloque le pays. 

Tu peux retrouver l’intégralité des contributions sur ce sujet dans ce document partagé (page 70).

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